Thème du colloque
Traduction technique et technicité(s) de la traduction ?
Traductologie de plein champ, neuvième édition
Comme l’a montré, notamment, Bruno Latour (2010), la technique est partout dans nos sociétés : comment ferions-nous sans ses omniprésents outils, objets, processus, applications... ? Et il est fort rare qu’elle se donne à voir comme telle : même l’architecture industrielle fait beaucoup plus penser au design qu’à un prolongement lointain et multimillénaire de ce que peut produire la main humaine. La technique, tout comme la traduction, est l’un des rouages essentiels et discrets du fonctionnement des sociétés. Trop discrets, peut-être.
Cette rencontre d’une invisibilité et d’une transparence mérite une exploration traductologique approfondie. Car la technique comme la traduction ne sont pas des objets aussi faciles à appréhender qu’on le penserait de prime abord. Rien de naturel chez elles : dans un cas comme dans l’autre, il faut mettre à distance les processus pour mieux les saisir et, potentiellement, agir sur eux. C’est ce que la Traductologie de plein champ s’efforce de faire, dans différents domaines, depuis sa création en 2007. Et ce sera également l’ambition de cette neuvième édition.
Paradoxalement, bien que le marché de la traduction repose très largement sur la traduction pragmatique depuis ses origines, la traductologie ne s’est intéressée que tardivement à la traduction technique, que nous entendrons ici au sens étroit, c’est-à-dire comme la traduction de textes concernant (pour reprendre une définition du Trésor de la langue française) « les applications de la science [et] de la connaissance scientifique ou théorique, dans les réalisations pratiques, les productions industrielles et économiques ». Les premiers auteurs qui se sont penchés de près ou de loin sur la 2 traduction technique et les langues de spécialité (Maillot en 1969, Wimmer en 1982, Kocourek en 1991 et Lerat en 1995) ont posé les prémices d’une théorisation. Par la suite, la perspective est restée essentiellement axée sur la pratique : Marquant (2005), Byrne (2010), Lagarde (2009) et Gile (2011).
S’il existe une traduction technique, quelle est et quelle doit être la place de la technique dans les compétences sollicitées et dans leur enseignement ? Et, d’abord, comment définir cette traduction technique ? Faut-il la distinguer de la traduction spécifique ? Est-ce une question de langue de spécialité, de typologie textuelle (que l’on pense aux fictions à substrat professionnel, ou FASP, et à leur traduction...) ? Quelle porosité avec ces autres domaines que l’on nomme parfois traduction générale, ou traduction de presse ? Derrière ces questions se profile celle de la spécialisation des traducteurs. Traducteurs spécialisés, ou spécialistes de la traduction ? Le débat est ancien ; il garde son actualité. Un exemple : le point de vue des traductologues à ce sujet correspond-il aux choix opérés par les services de traduction pour la répartition de leurs ressources ?
La question des limites se pose également : entre mots et termes, entre terminologisation et déterminologisation, entre dénotation et connotation dans un texte spécialisé. Le concept de langue de spécialité, qui a été défini et redéfini, devrait-il céder le pas à celui de langage de spécialité, de sociolecte ? Faut-il étendre ces recherches, comme l’a proposé Mejri (2011), à la phraséologie, et montrer ainsi qu’un texte spécialisé est une alchimie de mots et de termes, au sein même de la spécialité ?
Une autre question qui mérite d’être reposée est celle des modèles, des compétences et des collaborations : la traduction doit-elle privilégier la langue correcte ou l’usage de la profession ? Faut- il s’appuyer prioritairement sur les groupes de discussion informels qui rassemblent traducteurs et spécialistes du domaine et/ou sur les banques de données terminologiques ? Qui fixe la norme ?
Enfin, quels sont les ingrédients culturels de la traduction technique ? Il semblerait ici difficile de faire l’économie de la culture du domaine comme de la culture de la profession, toutes deux adossées à une vaste culture générale. On considère parfois que la maîtrise de la technique (des outils de traduction, en particulier) suffit en soi pour assurer la pratique. Mais l’inflexion vers le seul axe technique pourrait bien être un leurre.